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Lalée PINONCELY
Adopte

L’« affaire » Danone et l’offensive – victorieuse – menée par certains actionnaires du groupe contre le PDG Emmanuel Faber, à qui il était reproché, à mots couverts, de privilégier « l’entreprise à mission » au détriment de « l’entreprise à profit », met en lumière un véritable challenge auquel doivent faire face les entreprises : d’un côté, le gain purement capitalistique, et de l’autre le respect de la norme RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) et de son cortège de critères « ESG » (Environnement, social et gouvernance).

Si l’économiste Jean-Marc Daniel, dans le Debrief de l’émission Good Morning Business, considère que la seule raison d’être de l’entreprise est de faire du profit, faut-il pour autant accepter l’idée que le seul horizon de cette dernière serait de trancher un choix cornélien entre la raison d’être et la maximisation du profit ? Non, en fait. Le choix n’est pas cornélien, mais le challenge est ardu.

Dans « raison d’être », il y a deux mots importants : « raison » et « être » : Être, c’est-à-dire exister, vivre, agir, ce qui, pour une entreprise, signifie clairement produire, créer de l’activité et de l’emploi, et donc des revenus. La Raison, c’est la prise en compte de la totalité des acteurs, des paramètres et des aléas qui parsèment la vie de l’entreprise, et les respecter.

Il est parfaitement réaliste, à moyen ou long terme, d’« être » avec « raison », c’est-à-dire de générer de la valeur — au sens économique du terme — tout en donnant du sens à l’action de l’entreprise, en remplissant une mission qui la met en phase avec ses responsabilités ESG, lesquelles constituent autant de valeurs — au sens philosophique cette fois.

D’abord, parce que c’est ce que les consommateurs, qui en dernière analyse sont les vrais décideurs de l’entreprise, attendent d’elle. Par définition, celle-ci se doit de satisfaire leurs désirs, au risque de perdre à la fois profits et vertus. Ensuite, parce que, dans un contexte de péril climatique et de danger pour la ressource et la biodiversité, l’entreprise qui ne cherche pas à contrôler son empreinte environnementale scie littéralement la branche sur laquelle elle s’est construite, ce qui va très directement à l’encontre de sa raison d’être. Enfin, parce que comme l’a fort bien relevé Jean-Marc Daniel dans la même émission, le chantre iconique des conservateurs néolibéraux Milton Friedman considérait que le vrai régulateur de l’entreprise, celui qui éliminera automatiquement les entreprises qui ne maîtrisent pas leurs impacts sociaux et environnementaux, c’est la concurrence.

En réalité, la contradiction entre la notion d’« entreprise à mission » et certains aspects de la gouvernance (plans sociaux, redistribution de dividendes aux actionnaires…) se révèle vraie, mais seulement en cas de mauvais résultats. De fait, le dirigeant qui aura mis en place une politique RSE volontariste et qui, dans le même temps, engrangera des résultats financiers significatifs sera très probablement d’autant plus renforcé dans ses choix et reconduit avec enthousiasme dans ses fonctions qu’il aura réussi une apparente quadrature du cercle. Celui, par contre, qui aura fait de la RSE un pilier de sa gouvernance mais ne satisfera pas ses actionnaires, aura de fortes chances d’être déboulonné de son poste avec pertes et fracas…

C’est, finalement, l’application du concept de performance globale des entreprises, défini par le Centre des jeunes dirigeants (CJD) il y a près de 20 ans : la compétitivité et la pérennité des entreprises impliquent de plus en plus un management qui ne recherche plus uniquement l’efficacité économique, mais aussi les performances sociales, sociétales et environnementales. Pas l’un ou l’autre, mais les uns et les autres !

L’une des leçons à retenir de l’« affaire Danone » concerne d’ailleurs cette question du management, et notamment de la diversité des personnes qui sont à la tête de l’exécutif, qu’il s’agisse de la direction générale ou du conseil d’administration. En s’attaquant au PDG unique de Danone, les actionnaires contestataires ont également révélé (mais cette fois de façon positive) la fragilité d’un exécutif monocéphale. Peut-être en effet serait-il mieux pour les entreprises françaises, pour celles qui ne l’ont pas encore fait, de se doter d’une gouvernance à deux têtes : un président et un directeur général. A la façon d’un avion, dont le cockpit est géré par un pilote et un copilote. Une double vision d’un même horizon, en quelques sorte.

Bref, force est de constater qu’il reste encore une belle marge de progression pour nos entreprises et leur gouvernance, vis-à-vis des attentes de la société. Cela commence par les écoles de management, qui pour un certain nombre d’entre elles ont déjà mis en place des cursus axés autant sur l’économie que sur le social et l’environnement.

Bienvenue dans ce nouveau monde où se confrontent la nouvelle génération de dirigeants et les actionnaires qui n’ont pas changé leur modèle …