Sabrina Pantier

Sabrina Pantier
DG d’Husqvarna France

Diriger une ETI industrielle en pleine mutation écologique, avec une pression réglementaire croissante et une concurrence mondiale féroce, c’est le quotidien de Sabrina Pantier, directrice générale d’Husqvarna France. Son parcours atypique, mêlant industrie, coaching et philosophie, nourrit une vision du leadership aussi exigeante que lucide. Pour elle, toute transformation d’entreprise commence par une transformation personnelle.

« Leadership : quand une claque devient déclic »

Vous dites souvent que votre parcours est un chemin de convictions. Quel moment vous a fait basculer ?

À 28 ans, je prends une claque chez Bosch. On ferme une division solaire en quelques mois, malgré un projet solide et des équipes ultra engagées. Premier face-à-face avec la brutalité de la concurrence asiatique. C’est là que je comprends : être dirigeant, ce n’est pas juste gérer une boîte. C’est aussi porter une vision politique, culturelle, philosophique.

Philosophie et business, ça fait bon ménage ?

Complètement. J’ai même quitté l’industrie pendant cinq ans pour me former à la communication non violente, au coaching, à la philo à la Sorbonne. Ce que j’en retire, c’est simple : un leader ne dirige pas qu’une activité, il donne du sens. Et ça, ça commence par soi. Impossible d’embarquer une équipe si on ne s’est pas d’abord transformé soi-même.

Concrètement, comment ça se traduit chez Husqvarna ?

Par des choix très clairs. On passe progressivement du thermique à l’électrique. On change de locaux pour un site plus écoresponsable. On met le paquet sur le bien-être au travail. Et surtout, on fait évoluer la culture interne. L’univers est encore très masculin, très technique — mais on voit déjà des signaux forts : plus de coopération, moins d’ego, une dynamique plus fluide.

Pourtant, vous n’avez pas le statut “entreprise à mission”…

Pas encore, c’est vrai. Mais le statut ne fait pas tout. Ce qui compte, c’est la trajectoire. Et elle est engagée. Je siège aussi au comité de mission de QANTIS, et ces échanges nourrissent ma conviction : oui, une ETI industrielle, même dans un groupe international, peut impulser un vrai changement de fond.

« Des règles, oui. Mais les mêmes pour tous. »

Mais ce chemin, vous le menez dans un cadre très contraint…

C’est clair. On doit respecter des normes de plus en plus strictes, financer des éco-organismes peu transparents, faire face à des contraintes sociales fortes… pendant que des concurrents asiatiques, massivement subventionnés, produisent sans les mêmes règles. C’est un déséquilibre flagrant. Et en Europe, on est loin d’une harmonisation : souvent, la France applique seule des règles que d’autres pays ignorent.

Quelle marge de manœuvre vous reste-t-il ?

Celle d’un équilibriste. Je dois transformer l’entreprise sans compromettre sa compétitivité. On n’a pas les budgets marketing des géants, on ne peut pas tout faire : innover, basculer vers l’électrique et absorber une suradministration. Je ne demande pas moins de règles. Je demande les mêmes règles pour tous. Ou, à défaut, un vrai soutien pour ceux qui jouent le jeu.

Vous parlez aussi d’un désengagement croissant. Vous le sentez au quotidien ?

Oui, c’est palpable. Perte de sens, fatigue post-Covid, télétravail qui fragilise les liens… Tout cela mine l’envie. Dans ce contexte, un dirigeant doit être plus qu’un gestionnaire : un porteur de sens. Redonner du souffle, du sens, de l’envie. Moi, je m’appuie sur trois choses : la parole, l’écoute, la vision. Et ça marche — mais c’est un combat de tous les jours.